Cette loi, inspirée par un souci d’égalité entre la métropole et les territoires ultra-marins, pose des questions juridiques et économiques complexes.
D’un point de vue économique, l’adoption de ce nouveau dispositif aurait paradoxalement pour effet de renforcer les inégalités existantes entre la métropole et les territoires ultra-marins en matière de pouvoir d’achat. Si les DLC sont purement et simplement alignées sur celles de la métropole, les opérateurs locaux auront en effet le choix entre 1) modifier le mode d’importation de nombreux produits alimentaires en les acheminant par avion (afin précisément de respecter les DLC), renchérissant ainsi très significativement leurs prix de revente, et 2) stopper leur distribution (car leur prix de revient sera prohibitif et les capacités du fret aérien sont limitées). Les termes de l’alternative sont tous deux en défaveur du consommateur outre-mer.
Dans des territoires qui importent une partie importante de leur consommation alimentaire, les prix des produits frais comme les laitages, les fromages, les charcuteries pourraient dans certains cas doubler ! A titre d’exemple, un paquet de quatre tranches de jambon premier prix pourrait être vendu aux Antilles 3,40 euros en magasin contre 1,98 euros aujourd’hui, soit une augmentation de 72 % ! Est-ce vraiment acceptable quand on sait que le revenu médian aux Antilles et à la Réunion est de l’ordre de 950 euros par mois contre 1.600 euros en France ? Une substitution des produits importés par des produits locaux ne changerait dans ce domaine que peu de choses. Pour des productions mobilisant des moyens industriels très importants, les marchés de l’outre-mer sont peu éligibles en raison de leur taille réduite, y compris avec les 820.000 consommateurs de la Réunion. Une seule journée de production d’une chaine industrielle de laitage suffirait à servir l’île Bourbon pour plus de deux semaines. Qui, dès lors, aurait intérêt à y investir et qui en paierait le prix, si ce n’est le marché lui même ?
D’un point de vue juridique, la question de la compatibilité de la loi avec le droit communautaire peut être posée. En effet, son adoption pourrait amener les fournisseurs à réduire les DLC des aliments distribués outre-mer sans que cela ne soit justifié par des raisons sanitaires et ainsi à restreindre artificiellement la libre circulation des marchandises au détriment du consommateur outre-mer. Son incompatibilité avec le droit communautaire pourra être invoquée lorsque celle-ci viendra à être appliquée.
Cette loi sera ainsi contreproductive d’un point de vue économique et potentiellement contestable d’un point de vue juridique. Une plus grande prise en considération des spécificités économiques de ces territoires serait nécessaire pour renforcer la compétitivité et la fluidité de l’économie ultra-marine et lutter efficacement contre la vie chère.
Pascal PERRI
Economiste
François LOUBIERES
Jean-François BETTE
Avocats à la Cour




